Manuel Roret du Relieur |
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§ 24. - Collage de la garde
L'ouvrier pose le volume sur la table, le dos tourné vers lui ; il ouvre la couverture qu'il fait tomber de son côté. Alors il fend avec les doigts la fausse garde ou l'onglet par le milieu de sa longueur, et déchire à droite et à gauche ; et si l'onglet a été cousu, il enlève le fil qui le tenait et qui pourrait le gêner dans le mors. Il fait pirouetter le volume sur lui-même et place la queue devant lui, la couverture toujours rabattue sur la table ; dans cette position, avec le plioir il nettoie le carton sur le bord du mors et sur le plat, afin d'en enlever toutes les ordures et les aspérités qui, enfermées ensuite sous la garde, dépareraient l'ouvrage lorsqu'il serait terminé ; ensuite il fait cambrer le carton en forme de gouttière, en dedans, avant de coller la garde, et il laisse sécher dans cette position, afin que le carton conserve cette cambrure qui fait que le volume paraît parfaitement clos lorsqu'il est fermé. Pour les papiers ordinaires, on emploie généralement la colle forte ou la colle de pâte. Pour les étoffes, les papiers satinés ou moirés, le maroquin, qui pourraient perdre de leur lustre, on se sert de colle de gélatine, qui est plus blanche. Cette règle concerne surtout le collage de la garde. On emploie aussi la gomme arabique bien blanche, dissoute dans de l’eau tiède, ou encore un empois très concentré. Pour préparer cet empois, on délaie à froid dans de l’eau pure de l’amidon bien blanc, en ayant bien soin qu’il ne s’y fasse pas de grumeaux ; on met sur le feu et l’on fait bouillir ; on remue continuellement, afin que l’amidon ne se grumelle pas, et on laisse bouillir jusqu’à ce que l’empois ait pris la consistance qu’on désire : il s’épaissit en se refroidissant. Si on l’avait fait trop consistant, on y ajouterait de l’eau bouillante petit à petit en remuant toujours. Quand cet empois a une consistance suffisante, il sèche très rapidement et ne tache pas. Quelle que soit la matière agglutinante employée, on la passe sur le volume avec un pinceau, en commençant par le mors, vers le milieu, et allant vers les bords de la feuille tout le tour. Si l’on ne prenait cette précaution, on courrait le risque de mettre de la colle sur la tranche du livre, et l’on collerait les feuilles entre elles, ce qu’il faut surtout éviter et qu’on évite toujours, en plaçant sous la garde qu’on veut enduire de colle, un papier plus grand que le volume ; par ce moyen, la colle ne peut pas atteindre la tranche. La garde ayant été ainsi bien trempée, sur toute sa surface, on laisse tomber, la couverture dessus, elle saisit la garde et l’entraîne avec elle. Ouvrant alors le volume, avec l’index de la main droite, on fait descendre la garde pour la placer bien carrément dans le mors, et de la main gauche posée à plat sur la couverture, on étend doucement la garde, et l’on fait en sorte qu’elle soit bien tendue et bien unie. Enfin, on pose une feuille de papier sur le tout, et en pinçant par dessus le bord intérieur du carton avec le pouce et l’index réunis, on donne au mors intérieurement une forme bien carrée. On passe également la main à plat sur le papier ; au besoin même, on s’aide du plioir, pour que la garde se trouve bien unie, sans plis et sans grosseurs. Quand la garde est collée sur l’un des côtés de la couverture, on passe à l’autre côté. Pour cela on place un ais sur le volume, et laissant ouvert le côté de la couverture sur lequel on vient de travailler, on retourne le livre, et alors il repose sur l’ais qu’on appuie contre le mors. L’on opère sur ce côté comme on a opéré sur l’autre. Observations Il est bon d’entrer ici dans quelques détails sur plusieurs circonstances particulières que présentent des ouvrages plus soignés que ceux que nous venons de décrire. 1° Si le volume avait, dans l’intérieur de la couverture, une bordure dorée ou gaufrée, qu’il importe de conserver entièrement à découvert, on doit concevoir qu’en mouillant la garde, le papier s’étend dans tous les sens, de sorte que si on collait sans précaution, une partie de la bordure serait cachée. Pour éviter cet inconvénient, on coupe en tête et en queue une petite bande proportionnée à l’extension que prend le papier, et à la largeur de la bordure. On en ferait autant du côté de la gouttière, si la garde se trouvait trop large et couvrait la bordure. 2° Si le volume avait des charnières en maroquin ou en veau, on se rappellera ce qui est dit, pages 154-155, sur la manière de les placer. Nous avons fait observer que cette bande, qui doit former charnière, est pliée en deux dans sa longueur, qu’une partie est d’abord collée sur la garde, et qu’on se réserve de coller l’autre moitié sur le carton, après que le volume aura été couvert. C’est ici le moment de terminer cette opération. On doit d’abord couper et parer les deux angles de cette bande, afin qu’ils forment l’angle d’un cadre. Cette opération doit se faire avant de dorer la bordure, puisque cette partie de la charnière qui forme l’encadrement doit être dorée, mais il faut cependant faire attention qu’on doit laisser assez de peau pour couvrir parfaitement et carrément toute l’épaisseur du carton qui forme le mors. Il faut donc, en coupant ces coins, ne pas aller jusqu’au pli de la peau, mais en laisser une quantité suffisante pour que, lorsque la garde sera collée, on ne puisse pas s’apercevoir que les angles ont été coupés. On pare d’abord le bord de ces deux coupures sur un petit ais ou sur un morceau d’ivoire, que l’on passe par dessous : ensuite on colle cette demi-charnière sur le mors et sur le carton, avec les précautions que nous avons indiquées, en mouillant la peau avec de la colle de farine à l’aide d’un petit pinceau, et se servant, pour la bien appliquer, du pouce, de l’index et du plioir. La charnière ainsi collée, on colle la garde bien proprement avec de la gomme ou de l’empois bien blanc et très fort, qui sèchent très vite, et n’altèrent ni la soie, ni le papier précieux dont on veut former la garde. 3° Il faut faire attention que dans le cas où l’on met une charnière en peau, cette charnière doit être vue et ne peut être couverte ni par la soie, ni par le papier, quelque précieux qu’il soit. Par conséquent, la garde ne peut être d’une seule pièce, comme dans les ouvrages ordinaires ; elle doit être de deux pièces, l’une qui sera collée sur le côté du volume, et l’autre sur le carton de la couverture. 4° On est assez souvent dans l’usage d’orner les gardes en soie d’un cadre doré. Dans ce cas, avant de les livrer au doreur, on leur fait subir une préparation particulière. Cette préparation consiste à coller la soie sur un papier fin, afin de donner de la consistance au tissu et de l’empêcher de se défiler. A cet effet, on coupe les gardes à peu près de la grandeur convenable, les laissant de quelques millimètres plus grandes tout autour qu’elles ne doivent être et l’on prend un carton blanc ou propre. On encolle, avec de l’empois blanc, un papier fin ; on pose dessus l’envers de la soie ou de l’étoffe, en ayant bien soin que celle-ci dépasse le papier de 3 à 5 centimètres tout autour ; on encolle alors avec précaution les bords de la soie et on la rabat avec soin sur le papier que l’on fixe ensuite en appuyant doucement avec la main ouverte, de manière que le tout soit bien tendu et bien uni. Un seul pli dans le papier ou dans la soie, ou une seule place qui n’aurait pas été bien encollée, produiraient des effets très désagréables à la vue. Si l’étoffe de soie était destinée à un in-4° ou à un in-folio, un ouvrier seul ne réussirait pas à bien la placer sur la feuille mouillée, il doit se faire aider par un autre ouvrier. L’un tient, à une certaine hauteur, l’étoffe avec les deux mains, pendant que l’autre pose et fixe le bout opposé ; et au fur et à mesure qu’il appuie les doigts sur l’étoffe, l’autre obéit insensiblement en laissant descendre successivement l’autre bout, jusqu’à ce que le tout soit bien placé. On met dessus une feuille de carton et on laisse bien sécher soit à la presse, soit sous la pression d’un poids suffisant. Quand le tout est bien sec, à l’aide d’une règle en acier bien droite, d’une bonne équerre, et de l’angle arrondi du couteau à parer, on coupe bien carrément les deux demi-gardes, l’une selon la dimension que présente le cadre du carton, et l’autre selon la dimension du volume. Aussitôt que le carton de la garde est coupé, le papier sur lequel reposait la soie, et qui n’a pas été collé, se détache, et l’on voit la soie à découvert. Il passe alors entre les mains du doreur, et ce n’est qu’après qu’elles ont été dorées qu’on les colle sur le volume. Quelques relieurs avaient autrefois l’habitude de coller la garde de soie sur le côté du volume avant de le rogner. Cette méthode est tout à fait défectueuse et elle doit être rejetée : dans tous les ateliers, les bons ouvriers ont été obligés d’y renoncer, et d’adopter le procédé que nous indiquons et que nous conseillons d’après l’expérience. Cette manipulation nouvelle met à l’abri de tous les risques qu’on a à courir lorsqu’on opère d’après l’ancien procédé, tant pour la propreté de l’ouvrage, que pour conserver à la dorure tout son brillant et toute sa fraîcheur. 5° Quand un volume est couvert en maroquin, en mouton ou en papier maroquiné, on doit, avant de coller la garde, abattre le grain avec le couteau à parer, sur la partie seulement que la garde doit couvrir, afin d’éviter les épaisseurs que le grain formerait dans ces parties. On doit encore avoir soin de coller une garde en papier blanc collé, de la grandeur de la garde précieuse, et laisser bien sécher. On colle ensuite avec propreté la garde précieuse sur cette garde blanche ; si l’on ne prenait pas cette précaution, il arriverait presque toujours que les acides qui entrent dans la composition du maroquin se déchargeraient sur la belle garde, et formeraient tout autour une tache d’un jaune rougeâtre. Cette tache se porte sur le papier blanc qui, lorsqu’il a été collé, la laisse très rarement traverser ; et, par ce moyen, on évite que la garde précieuse soit tachée. Lorsqu’on colle cette belle garde avec de la colle forte bien consistante, on évite ces taches. |
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