Manuel Roret du Relieur |
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§ 7. - Rognure
1. Préparation Après l'endossage, on colle à chaque volume la garde blanche ; on laisse tomber librement dessus le papier de couleur qui avait déjà été collé à l'endossure ; on appuie légèrement dessus les deux feuillets de papier de couleur, et on laisse tomber dessus le carton sans le forcer. Nous devons faire cette observation sans le forcer, parce que, si l'on conduisait ce carton avec la main, et pour peu qu'on le forçât, il ferait reculer les sauvegardes et les gardes ; on ferait un paquet dans le mors, ce qui gâterait ensuite la reliure ; on ne pourrait plus le réparer à moins d'en mettre de nouvelles. Il faut que les sauvegardes et les gardes restent toujours bien étendues. On met alors les volumes à la presse, entre des ais. Pour peu que l'ouvrier apporte de soin à son ouvrage, il réussira parfaitement, de même qu'aux manipulations qui vont suivre : on n'a pas encore placé la garde de papier de couleur : c'est ici le moment de la coller. Lorsqu'on veut faire un ouvrage très propre, on a dû avoir soin de faire coudre des sauvegardes de la même grandeur que les gardes, ou d'en poser seulement sans les coudre, comme nous l'avons dit plus haut, en rabaissant avant l'endossure, ou au moins que la moitié de la sauvegarde, qui touchera le carton, soit une simple bande, tandis que l'autre moitié, qui touche le volume, soit un feuillet entier. Cela évite ces demi-largeurs de papier qui, appliquées l'une sur l'autre, forment des épaisseurs qui font des marques désagréables dans le volume. Si l’on veut placer une charnière en peau, il faut toujours qu’elle soit parée, pour en réduire l’épaisseur sur les bords ; il faut de plus la coller avant la garde. Cette charnière est une bande de 4 à 5 centimètres de large, que l’on plie par le milieu de sa longueur, après l’avoir parée. On n’en colle qu’une moitié sur la garde blanche et vers le mors ; l’autre moitié se coIlera plus tard, lorsque le livre sera ouvert ; mais avant de coller cette moitié sur la garde blanche, on doit la doubler d’un morceau de papier blanc et la laisser sécher parfaitement. Sans cette précaution, cette bande de la charnière déposerait une partie de sa couleur sur la garde blanche, et formerait une tache dans toute sa longueur, tache qui serait très désagréable à l’ouverture du volume. On met le volume en presse entre des ais de la grandeur du volume et à surfaces parallèles, et on l’y laisse le plus longtemps possible. En ôtant les volumes de la presse, et après les avoir sortis de dessous les ais, on dégage les cartons des sauvegardes que la pression y a fait adhérer et qui y tiennent un peu ; on fait vaciller les cartons pour les faire monter et descendre. 2. Rognure Ébarber un livre, c’est enlever avec des ciseaux le plus gros de la tranche. Le rogner, c’est en retrancher toute la saillie des marges jusque et y compris les plis, que l’on doit atteindre légèrement, juste ce qu’il faut pour fendre les feuillets. On ébarbe tous les volumes brochés, mais on ne rogne pas toujours les volumes qu’on relie. On laisse toutes leurs marges aux éditions de luxe ou aux albums de planches montés sur onglet, ce qui leur donne plus de prix pour certains amateurs. La rognure consiste, en principe, à serrer fortement un livre dans une presse et à en couper les tranches avec un outil tranchant. La presse se nomme presse à rogner, et l’outil tranchant fût à rogner ou rognoir. 3. Manière de rogner Le plus important dans la rognure des volumes est que le dos fasse, avec le haut et le bas des cartons, deux angles bien droits, et que la tranche soit bien parallèle au dos, de sorte que tous les angles se trouvent droits sur les deux faces du volume : on ne peut pas s’écarter de cette règle sans présenter une forme désagréable à l’oeil. Le moyen le plus simple et que l’on emploie habituellement est de se servir d’une équerre qu’on applique sur la partie du carton qui se trouve dans les mors. Pour opérer avec exactitude et sans tâtonnement, on a imaginé une équerre particulière, dite à rebord, (fig. 41), que nous décrirons ci-après. Sur une plaque de fer de 14 à 17 centimètres de de long, 4 centimètres de large, et 5 à 7 millimètres d’épaisseur, on pratique dans sa partie supérieure, et dans le milieu de sa largeur, une entaille de 7 millimètres de large et 5 centimètres et demi de long. On ajuste dans cette entaille une plaque de tôle de 7 millimètres d’épaisseur, 17 centimètres de long, et 3 centimètres et demi de large dans la partie qui doit se trouver dans l’entaille, et qui se termine à 10 millimètres de large par son autre extrémité. On soude, à la soudure forte, ces deux pièces l’une sur l’autre, et l’on a formé, de cette manière, à peu près une équerre qu’il ne s’agit plus que de rectifier à la lime. A l’aide de cette équerre, il est facile de marquer la rognure à angles droits. Voici comment on s’y prend. On descend les deux cartons au niveau des feuilles de la tête, on appuie le rebord de l’équerre contre le dos du livre, tandis qu’on dirige l’autre branche vers le haut du carton, et l’on marque un trait le long de cette branche : ce trait indique tout le papier qu’on doit enlever, en atteignant tous les feuillets et en laissant le plus de marge possible. Si, pour un in-folio, ou tout autre format, l’ouvrier n’avait pas d’équerre à rebord assez grande, ou qu’il n’en eût pas du tout, il y suppléerait de la manière suivante : il mettrait entre les deux jumelles de la presse un ais à mettre en presse, de la longueur du volume, mais excédant de 17 centimètres environ la surface de la presse, et après avoir serré la vis il poserait à plat le volume sur la première jumelle, en appuyant son dos contre l’ais ; puis il placerait son équerre ordinaire sur le volume, de manière qu’une des branches de l’équerre touchât l’ais dans toute son étendue, tandis que l’autre servirait à marquer la ligne perpendiculaire sur laquelle doit passer le tranchant du couteau. De quelque manière qu’on ait marqué la rognure à angles droits, avec l’équerre à rebord ou sans elle, on choisit un morceau de carton pour placer derrière le volume. Ce carton doit être également épais partout, quand le couteau marche bien, c’est-à-dire parallèlement à la surface de la presse à rogner. Quand, au contraire, le couteau marche mal, il faut l’amincir, soit par le haut, soit par le bas. Souvent aussi, le couteau marche mal, parce que le talon ou la coulisse en fer qui le fixe dans le fût à rogner est mal ajusté. On remédie à ce défaut en haussant ou en abaissant ce talon. Tout étant ainsi bien disposé l’ouvrier prend le carton de la main gauche, et le place sous le volume, qu’il tient de la main droite, le dos tourné vers lui. Cela fait, avec la même main gauche qui tient le carton; il saisit légèrement le volume par la tête, en ayant soin de ne le forcer ni de la main gauche ni de la main droite; pour ne pas faire monter ou descendre les feuilles, il le met dans la presse sans le contraindre, puis, après l’avoir descendu au niveau du trait, il serre la presse. L’ouvrier se plaçant alors au bout de la presse, la jambe droite en avant, fait agir le rognoir. Il le prend de la main droite, par la tête de la vis, le place sur la coulisse, et avec le pouce et les trois derniers doigts de la main gauche, dont la paume appuie sur la première clé, il empoigne la vis, tandis qu’il appuie l’index sur l’autre clé. Par ce moyen, il empêche le fût de vaciller. Il ne doit faire avancer le couteau que peu à la fois, en tournant faiblement la vis de la main droite. Il doit rogner tout un côté sans discontinuer; car autrement il s’exposerait à faire des sauts, et la rognure ne serait pas unie. Enfin, il ne faut pas qu’il fasse de grands mouvements ; l’avant-bras doit seul travailler; et le couteau ne doit, dans sa marche, couper qu’en s’éloignant du corps. Plus on tourne doucement la vis du fût, plus la rognure est unie. Après avoir rogné la tête, on s’occupe de la rognure de la queue, Il faut d’abord marquer le trait qui doit guider la marche du couteau. Pour cela, on ouvre le volume, on cherche le feuillet le plus court, puis appuyant le pouce de la main gauche contre la tranche de la tête, on appuie contre ce pouce une pointe de compas, et on ouvre l’autre jusqu’au bout de cette feuille, en y comprenant en plus les châsses que l’on se propose de faire ; encore est-il bon, dans la vue de laisser une plus grande marge à la queue, de ne pas atteindre, à la rognure, tous les feuillets de la queue, ce qu’en langage d’atelier, on appelle laisser les témoins. Il faut que les deux pointes soient exactement dans la direction d’une ligne parallèle au dos du volume ; car si on les prenait dans une ligne qui ne lui fût pas parallèle, on aurait une distance d’autant plus grande qu’elle s’en éloignerait davantage. Pour les déterminer, on ferme le volume, on appuie le pouce de la main gauche contre le bord du carton près du dos, et avec l’autre pointe, dont on a soin de ne pas déranger la distance, on marque un point sur le carton. On porte ensuite le pouce vers la gouttière, et l’on marque un second point de ce côté, en ayant soin que dans ces deux opérations les deux points de compas se trouvent dans une ligne parallèle « celle du dos. On trace sur le carton, un trait qui passe par ces deux points. On peut se servir pour cela de l’équerre à rebords. Dans ce cas, on descend également les deux cartons du côté de la tête, d’une quantité égale à deux fois la distance dont on veut que la couverture dépasse la tranche d’un seul côté, et après avoir fait une marque sur la couverture, on trace avec l’équerre un trait qui passe par ce point. Il n’y a plus alors qu’à placer le carton derrière comme on l’a fait pour la tête, et l’on rogne la queue de la même manière que l’on a rogné la tête. La tête et la queue étant rognées, il s’agit d’effectuer la même opération sur la tranche et de faire la gouttière. À cet effet, avant d’enlever le volume de la presse, on trace sur le bord de la tranche un arc de cercle dont le centre est sur le bord du dos, au milieu de l’épaisseur du volume, et la circonférence à l’endroit où l’on veut rogner la gouttière. Pour cela on appuie le pouce de la main gauche sur le bord du milieu du dos, et contre ce pouce on pose l’une des pointes du compas. On porte l’autre pointe, qui doit être armée d’un crayon, sur le bord de la tranche, à l’endroit où l’on veut rogner la gouttière. On décrit un arc de cercle d’un carton à l’autre ; on retourne le volume vers la queue, et avec la même ouverture de compas on décrit avec les mêmes précautions un arc de cercle semblable. En armant le compas d’un crayon; on évite de faire un trait ineffaçable que la pointe du compas imprimerait, ce que le crayon ne fait pas. Pour rogner la tranche, il y a plusieurs précautions à prendre : 1° L’ouvrier saisit de la main gauche un ais en bois de hêtre, d’une épaisseur égale, de 5 centimètres et demi de large et un peu plus long que le volume ; cet ais se nomme ais de derrière. De la main droite, il pose, sur cet ais, le volume par la tranche, en laissant pendre les cartons ; puis, par dessus le volume, il met un ais étroit en bois dur. Cet ais étroit est non-seulement plus épais du côté de la tranche que de l’autre côté; mais son épaisseur est en talus du côté de cette tranche, afin que la tringle qui est fixée au-dedans de la presse ne gêne pas le volume en sens contraire. 2° Il saisit ces deux ais et le volume avec la main gauche, en les serrant assez pour que le volume ne se dérange pas, mais pas assez pour qu’il ne puisse pas céder un peu pour former la gouttière. 3° Il place l’ais de devant au niveau du trait qu’il a marqué avec le compas sur les deux bouts du volume. 4° Il berce le volume, c’est-à-dire qu’il le balance de droite à gauche et de gauche à droite, pour faire prendre au trait une forme concave, régulière et égale des deux côtés, tête et queue. 5° Alors l’ouvrier fait monter tant soit peu, du côté de la queue, l’ais de devant, afin de remédier, par la rognure, à une faute qu’on fait indispensablement à la pliure (1). Ce mouvement d’ascension doit être plus ou moins grand, selon la grandeur du volume, car dans l’in-32, par exemple, l’épaisseur de la trace suffit, tandis que dans l’in-folio, il faut de 3 à 5 millimètres, et quelquefois plus. Cependant lorsqu’un volume est composé de feuilles simples, le même inconvénient n’ayant pas lieu, on est dispensé d’en tenir compte. 6° Il place le volume, ainsi préparé, dans la presse; il serre fortement et rogne la gouttière de la même manière qu’il a rogné les deux côtés, tête et queue. 7° Quand les volumes contiennent beaucoup de planches, de cartes géographiques ou de tableaux qui se plient, et même dans ceux qu’on nomme atlas qui ne contiennent que des planches, il y a des précautions à prendre pour les rogner en tête et en queue, et pour donner à la tranche la forme de gouttière. Dans le premier cas, on doit remplir les cavités qui existent, soit avec des rabaissures de carton, soit avec des morceaux de papier, afin que l’épaisseur du volume soit uniforme partout lorsqu’il est serré dans la presse. Par ce moyen, le couteau à rogner éprouve partout la même résistance, et il coupe uniformément sans faire aucune déchirure, aucune écorchure, aucune bavure. Dans le second cas, c’est-à-dire pour faire les gouttières, après avoir laissé tomber les cartons, on place deux ais de derrière, un dans chaque mors, de manière qu’ils dépassent le volume par chaque bout, puis, posant le dos sur la presse, on appuie fortement avec les ais sur les mors, en frappant le dos sur la presse, ce qui aplatit ce dos. Alors, tandis que l’ouvrier maintient le volume dans cette position, un autre ouvrier lie fortement les deux bouts des ais avec des ficelles, ce qui rend le tout très solide. En liant les feuillets pour les empêcher de s’ouvrir, on doit se servir d’un ruban de fil grossier, mais bien étendu, afin de ne pas faire au volume, sur les angles de la rognure, les marques que ferait une corde, marques qu’on ne pourrait pas effacer. Cette ligature se place un peu au-dessus des plis des planches, afin de laisser au-dessus toute la partie qui n’est pas soutenue. Alors on remplit les vides, que les plis des planches occasionnent, avec des bandes de papier ou des bandes de carton plus ou moins épais, selon que les vides sont plus ou moins considérables. Tout étant ainsi disposé, on place à l’ordinaire, les ais de derrière et de devant, on met le volume en presse, et l’on rogne. Lorsque la rognure est terminée ; on dépresse le volume, on le dégage de toutes ses ligatures et des ais, le dos revient à sa place, et la gouttière se trouve formée. (1) La plieuse, lorsqu’elle plie une feuille, supposons un in-quarto, met son couteau de bois, ou plioir, dans le milieu de la feuille ; de la main gauche, elle renverse la moitié de celle-ci sur l’autre, et marque le pli, qu’elle achève en passant son plioir dessus aussitôt qu’elle a mis les chiffres des pages l’un sur l’autre. Elle plie une seconde fois de la même manière. Les pages sont bien de la même hauteur en tête, mais le papier n’est pas de la même dimension en queue, et c’est à ce défaut qu’on remédie en remontant l’ais de devant. |
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