Le Papier - Petites mises au point

 
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La troisième dimension

LA TROISIEME DIMENSION
BIEN SUR
LA QUATRIEME
ET POURQUOI PAS
LES DEUX PREMIERES ?

Le papier, comme tout, se perçoit en trois dimensions.
Pourtant chacun n'y voit qu'un support de message et, en général, seules deux dimensions sont prises en compte : longueur largeur. C'est bien suffisant pour pouvoir lire ou contempler sa surface. Par-ci, par-là, quelques-uns ont une approche plus sensuelle, tactile, olfactive, sonore, mais ce sont là des comportements plutôt rares sur lesquels on ne s'attarde pas, bien qu’ils manifestent par là l'amour qu'ils lui portent.

Pourtant c'est se condamner à n'y rien comprendre que d'en rester aux formats qui eux-mêmes méritent que l'on s’attarde un peu.

Pour de multiples raisons, les fabrications manuelles Islamiques et Occidentales produisent presque toujours des petits formats. La principale, à mon sens, vient de la difficulté à manipuler une feuille humide peu pressée pour la transférer sur son lieu de séchage. D'autre part, il ne me semble pas qu'il y ait eu de demande suffisamment pressante de formats importants qu'une juxtaposition de petites feuilles ne puisse satisfaire. Quand cela s'est avéré nécessaire, à partir de la fin du XVIIIe siècle, on a fabriqué des feuilles jusqu'à quatre-vingt centimètres sur cent vingt. Mais c'est tellement rare qu'on montre les formes qui étaient manipulées avec des contrepoids comme des curiosités. Pour s'en tenir au papier Occidental, les techniques de production nécessitent une très forte pression, afin d'évacuer l'eau de formation, à cause de l'élasticité des feutres (entre trois et cinq cents) et ce, sur un temps très court, qui permette leur réutilisation immédiate pour la pressée suivante. Même si la presse développait une centaine de tonnes, c'était juste suffisant pour les 500 feuilles et les 500 feutres qui constituaient la porce (voir « Question de Grammage »). Plus la feuille est grande plus la pression doit être importante. Les grands formats dépassent rarement le quart de mètre carré : 44X56 cm. Notre vision décimétrique oriente et déforme notre regard. Il nous faudrait penser en pied pouce et ligne pour mieux ressentir l'espace occupé par les feuilles. Les dimensions et leurs appellations n'ont cessé de varier. Par exemple ce qu'on appelait Raisin au XVIIIe (pour évoquer un format connu) était en fait proche du Carré ou du coquille : 44X56 cm. Le Grand Raisin du XVIIIe approchera les 62X48 cm et ce n'est qu'après 1945 que son emploi systématique comme papier à dessin, 50X65 cm, le rendra populaire au point que c'est le seul format à peu près connu.
Cette histoire de format est, de plus, « déformée » par le fait que la feuille n'a jamais été faite pour nous parvenir entière, au point qu'elle était stockée pliée et ficelée sans ménagement. L'imprimeur puis le relieur la façonnaient et ce sont le plus souvent des demis, des quarts ou des huitièmes de feuilles pliées, reliées puis rognées que nous manipulons. Ce que produit aujourd'hui la machine à papier est une immense feuille de plus ou moins quinze kilomètres de longueur sur douze mètres de large dont nous ne tenons dans la main qu'un minuscule trois millionième. Par ailleurs, et l'on voit bien là l'incapacité de nombre de collectionneurs, connaisseurs soi-disant éclairés, à identifier l'origine d'un papier, on s'est mis à conserver précieusement les barbes de rive comme témoignage d'une fabrication manuelle, donc, certainement précieuse, et même, à les imiter sur machine. Esthétique, communication, spéculation ont créé de toutes pièces cette image de la feuille unique qui en fait n'avait pratiquement jamais existé.

Il est important cependant de noter que les registres d'état civil et les actes notariés sont presque toujours rédigés sur des feuilles qui, soit en cahier, soit en liasses attachées par un ruban ou une ficelle, sont constituées de feuilles "au format" : 31X38, 28X40, 25X34 cm etc...Non rognés, soit La cloche, le pot, le petit raisin, les trois O. Tous ces papiers utilisés pour l'écriture n'ont été conservés que dans le cas ou ils étaient destinés à des actes officiels. Leur immense majorité a fini recyclée dans les cartons, comme les "vieux papiers" d'aujourd'hui.

Cette surface qu'est la feuille de papier, quelle qu'elle soit, a tendance à occulter son épaisseur dont on ne parle que quand plusieurs feuilles sont superposées, en cahiers ou en liasses. C'est si vrai que toutes les fabrications « artisanales » d'aujourd'hui qui s'adressent à un public qui n'a que faire, en fait, du papier fabriqué puisqu'il ne « l'utilise » qu'à travers le spectacle de sa production, produisent des feuilles hypertrophiées, atteintes d'une obésité qui leur permet, si j'ose dire, d'occuper le terrain toutes seules. D'un grammage inimaginable il y a un siècle et demi, elles arborent des barbes de rive délirantes, un grain ou seul un outil de graphisme, genre 4X4, peut se frayer une trace, et exhibent leurs entrailles sous forme de fibres diverses, incorporées à la pâte, destinée à rappeler leurs origines végétales, comme s'il en existait d'autres. Dans le même ordre d'idée, on voit « fleurir » ici où là, des « stages de fabrication de papier végétal » qui laisseraient à penser, en contradiction avec la définition même du papier, qu'il en existe qui ne le serait pas.

La troisième dimension

Pourtant, cette épaisseur, est essentielle, car en dépendent toutes les réactions qui accompagnent la vie d'une feuille. Celle-ci s'allonge, gonfle se rétracte en fonction de la qualité des fibres qui la composent, de la façon dont elles ont été travaillées et du temps qu'il fait ou, pour parler plus savamment des variations de l'hygrométrie et des températures... Cinq paramètres entrent donc en jeu : le grammage, l'humide ou le sec le chaud ou le froid, le matériau, la façon dont il a été travaillé. Tout cela intervient à chaque moment de la vie du papier, au cours de sa fabrication et de son séchage, et interfère avec :

la quatrième dimension :

Le temps tout au long duquel se produisent ces variations. Dès le commencement, l'intervention de l'outil graphique, quel qu'il soit, pour lequel il a été conçu et son conditionnement ont des conséquences sur la vie future du papier. Par la suite, le vieillissement naturel de la matière, ici principalement une oxydation qui décompose plus ou moins lentement la cellulose en fonction des cinq paramètres évoqués ci-dessus accomplira son travail de destruction. A cela viennent s'ajouter l'usure mécanique due aux manipulations, les dommages causés par de mauvaises conditions de conservation et les accidents qui se traduiront par les multiples altérations que nous connaissons tous : jaunissement, brunissement, fragilisation, salissures, taches, moisissures, points de rouille, attaques bactériennes, déchirures, froissements, trous de vers, qui sont le lot de tous les papiers.

Comme n'importe quel organisme vivant, car le papier est vivant, sa durée d'existence dépend donc de sa constitution puis des conditions dans lesquelles elle se déroule.

Donc, pour utiliser le papier il faut avoir constamment en tête tous ces paramètres et savoir que telle ou telle variation, que ce soit au cours de sa production ou de sa vie, va avoir des conséquences qui vont se traduire soit par une altération qui en diminuera la durée soit au contraire par un apport bénéfique à celle-ci.

Ainsi l'emploi de matériaux différents, aussi bons soient-ils, ou le mauvais emploi de bons matériaux mal travaillés peuvent avoir des conséquences néfastes.

Personne n'est capable d'assurer aujourd'hui que le recours systématique à des fibres étrangères aux papiers Occidentaux (à cause de leur facilité de manipulation et de soi-disant qualités de conservation) est sans conséquences sur la durée de vie des ouvrages traités. Alors qu'on sait, pour en avoir la preuve sous les yeux tous les jours, que les matériaux des ouvrages que l'on restaure ont eu, eux, les capacités de nous parvenir, malgré les atteintes diverses qui font qu'on est obligé de les soigner. Chacun sait que, sans les accidents dus aux mauvaises manipulations et aux conditions de conservations défavorables, ces ouvrages seraient dans leur fraîcheur native.

Il est donc urgent de tenir compte de cette troisième dimension du papier, sa matière. C'est d'elle, et d'elle seule, que dépendent l'ensemble de ses réactions.

Ce n'est en aucun cas essayer de donner au papier une prééminence qu'il n'a d'ailleurs jamais prétendue avoir (ce qui aurait peut-être évité bien des non entendus, car la discrétion qui a toujours été la sienne a fait qu'il est toujours aussi méconnu). Le papier est et ne sera jamais autre chose qu'un support. Ce ne sont pas les modes actuelles qui tendent à en faire parfois l'objet lui-même de son existence qui y changeront quoi que ce soit. Sa meilleure façon d'exister est de permettre en se faisant oublier, la transmission des informations qu'on lui a confiées.


 
 
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