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À propos du séchage du papier - modifié le 26/09/2012
Aujourd'hui, la quasi totalité des papiers fabriqués (même artisanalement) sont séchés artificiellement. Sur les machines, cela se fait à grande vitesse, en tension, et cela s'accompagne d'un surfaçage. Dans les fabriques artisanales, le plus souvent on se contente de chauffer le séchoir, mais il arrive qu'on profite des moyens modernes pour faire d'une pierre deux coups et sortir une feuille quasiment terminée d'un tambour sécheur.
Jusqu’au début du XIX° siècle, tous les papiers séchaient à l’air, dans les parties hautes des moulins, appelées étendoirs dont la majeure partie était utilisée épisodiquement pour procéder au collage. de Lalande, dont je cite souvent « l'Art de faire le Papier », parle bien du petit étendoir en opposition à l’étendoir de collage. Celui-ci étant utilisé quotidiennement, celui-là cinq ou six fois par an au moment des collages. (Cette opération fera l’objet d’un autre article). Le papier, pressé deux fois, avec les feutres puis sans eux, en « porse blanche », pour à la fois avoir une meilleure tenue mais aussi et surtout pour faire disparaître la trace, chaîne et trame que laissaient les draps (de laine) qui servaient de feutre était donc porté dans le petit séchoir et là, il était étendu sur les cordes, par cahiers de plusieurs feuilles collées ensemble un peu comme un carton. De Lalande souligne bien que, sans cela, il eut été impossible ensuite de tremper les feuilles au moment du collage. Il est important à ce propos d’avoir en tête que les formats de papier excédaient rarement le format coquille (44x56cm) et que l’immense majorité des papiers dépassait rarement les 75 g/m2. Pour avoir pratiqué cette opération, je sais qu’il est impossible de manipuler en les empilant des feuilles de ce format trempées sans en déchirer ou en plisser les trois quart. Alors que cela devient possible si on procède par cahiers plus rigides. Ainsi les feuilles venant de la pressée n’étaient pas mises à cheval sur ces cordes comme on le croit trop souvent mais mises à plat dessus. (Qu’on essaye de plier un cahier d’une dizaine de feuilles mouillées collées entre elles et l’on comprendra vite que ce n’est pas possible de procéder autrement). Cela dit, les remarques à propos du séchage que je découvre dans Desmarest m'inclinent à nuancer fortement mon propos, d'autant que certains détails qui m'avaient échappés jusqu'ici me donnent à penser que le papier était moins pressé que celui que j'obtiens, donc plus souple (les marques de pouces laissées sur le "bon coin" des pages est une bonne indication du degré de pressage) .L'emploi du frelet pour étendre à ce moment et le fait de pincer plusieurs cordes permet cet étendage mi à plat mi à cheval. (ajout du 26/09/2012. Donc le séchage définitif se faisait, lui, après le re trempage dans le mouilloir, (bain de colle) ensuite un pressage, pour bien répartir la colle, en évacuer les excès et par la même occasion finir de faire disparaître les dernières trace du feutre.
Ce n’est qu’à ce moment qu’on étendait les feuilles une à une sur les cordes (d’ou la taille des étendoirs ou l’on pouvait coller plusieurs centaines de milliers de feuilles en même temps). Ce re-séchage des feuilles se faisait en fait de façon assez homogène d’une fabrication l’autre, parce qu’on prenait beaucoup de précautions par rapport aux conditions climatiques pour que le collage ne tourne pas à la catastrophe, plusieurs semaines de travail étant collées en même temps. Il fallait éviter les temps lourds, orageux, venteux ou le gel et le froid humide. On séchait donc pratiquement toujours dans des conditions de température et d’humidité optimales ni trop brutalement ni trop lentement. Cela explique l’étonnante homogénéité des fabrications qui proviendrait donc du collage. Des la fin du XVII° siècle il semblerait qu'on se soit mis à coller au fur et à mesure de la production qui devient de plus en plus importante. Villarmain dans son journal de 1776 fait référence, à chaque collage qui suit une fabrication au, temps qu'il fait. À partir de 1775, dans les fabriques les plus importantes et les plus "avancées" on s'est mis aussi à pratiquer l'échange, inspiré des techniques Hollandaises et préconisées par Desmarest. (cette technique fera l'objet d'un article particulier) Ajout du 26/09/2012.
Tout cela est très important pour la vie future du papier. Ce séchage lui permet de trouver sa dimension définitive, celle qu’il reprendra toujours si, pour toutes sortes de raisons, accidentelles ou volontaires, il s’allonge à cause d’un excès d’humidité. Comme la mise à plat définitive, avant le XVIII° siècle se faisait simplement sous des poids ou en presse, rien ne venait modifier le format de la feuille. De plus il s’écoulait au moins deux ans entre le moment de fabrication et celui de la livraison, ce qui permettait au papier de finir de se stabiliser, un peu comme le bois que l’ébéniste ou le luthier laissaient vieillir pendant plusieurs années, de plus, les imprimeurs, prudents, avaient au moins deux à trois ans de stock..
Le fait que la feuille ne soit pas parfaitement plane, que ses bords soient plus ou moins réguliers, est absomument sans importance pour un papier de restauration destiné à des ouvrages antérieurs au XIX siècle. Les conditions de stokage et de transport des papiers et leur conditionnement n'avaient rein à voir avec les pratiques actuelles. les feuilles étaient empaquetées pliéees en deux et ficelées sans grand ménagement. Si l'on y réfléchit un peu, c'était sans grande importance. Quelle que soit sa destination, le papier était transformé, par les utilisateurs, soit découpé ou plié au format du cahier ou du papier à écrire soit mouillé et imprimé ensuite. Je ne parle là que des utilisations nobles. Dans tous les cas la feuille était destinée à devenir une demie, un quart ou un huitième de page ou un morceau de papier. Si l'on regarde bien attentivement tous les livres antérieurs au XIX) siècle, aucun n'est plat. Non seulement ils sont irréguliers dans les fonds mais l'empreinte de l'impression dans le papier humide a allongé la feuille au centre de la page créant des ondulations plus ou moins marquées qui sont inneffaçables. (Sauf re-reliure au XIX° siècle après passage des cahiers en presse à satiner qui à fait perdre au volume un tiers de son épaisseur et lui a pour ainsi dire coupé la respiration.) Voila pourquoi contraindre des feuilles qu'on a pris grand soin de fabriquer avec les matériaux adaptés et suivant un processus identique à celui pratiqué à l'époque des ouvrages dans lesquelles elles sont appelées à s'insérer me parait être un contresens total. Toute contrainte que l'on fait subir à la feuille ne peut que l'écraser ou l'allonger en lui faisant perdre l'essentiel de ses qualités de souplesse et d'élasticité.
Jacques Bréjoux
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