Manuel Roret du Relieur

 
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Préface

Première partie - Brochage

Deuxième partie - Reliure

Considérations générales

Chapitre 1
Matières employées par le relieur


Chapitre 2
Atelier et outillage du relieur


Chapitre 3
Opérations du relieur


Chapitre 4
Racinage et marbrure de la couverture


Chapitre 5
Marbrure sur tranche


Chapitre 6
Dorure et gaufrure

  Observations préliminaires
   § 1. - Dorure sur tranche
   § 2. - Dorure sur le dos et la couverture
   § 3. - Combinaison des fers
   § 4. - Choix des fers
   § 5. - Observations diverses
   § 6. - Moyen de séparer l'or des chiffons qui ont servi à la dorure
   § 7. - Gaufrure
   § 8. - Emploi dans la reliure des percalines grenées et gaufrées

Chapitre 7
Reliure mécanique


Chapitre 8
Reliures diverses


Chapitre 9
Renseignements divers


 

 
§ 4. - Choix des fers

En parlant des fers, nous avons dit qu'ils doivent être, autant que possible, appropriés à la nature des matières traitées dans les ouvrages. Ce n'est pas tout : il est encore indispensable qu'ils soient en rapport avec le style de l'époque où le livre a été imprimé ou est censé l'avoir été. Rien ne serait plus choquant que de voir un roman de nos jours décoré avec des fers du quinzième siècle ou l'un des premiers produits de l'art de Gutenberg avec des fers de 1810 ou de 1830. Malheureusement, il n'est pas rare de rencontrer des relieurs, même parmi ceux qui jouissent d'une grande réputation, manquer entièrement à ces principes, parce qu'ils ignorent l'histoire de leur art.

C'est pour les mettre en mesure de ne plus tomber dans de semblables erreurs que nous avons jugé à propos de joindre à la nouvelle édition de notre manuel quelques spécimens de fers, choisis parmi les monuments les plus authentiques de la reliure du quatorzième siècle à la fin du dix-huitième. Ils ont été exécutés par MM. A. Lofficiau et Munzinger, 40, rue de Buci, à Paris, qui, véritables artistes, sont au premier rang de nos graveurs de fers à dorer. Le dessin de ces spécimens a été fait par M. Munzinger ; ils ont été reproduits en photogravure par M. Michelet, de manière que les dessins ne subissent aucune altération à la gravure.

Quelques mots maintenant sur nos modèles.

1. - Fers monastiques (XIVè et XVè siècles)

Fers monastiquesImitations des ornements dont les premiers imprimeurs enjolivaient leurs livres de piété, ils annoncent la seconde moitié du quinzième siècle et le commencement du seizième. Leur nom vient de ce qu'ils, sont comme la continuation des merveilleuses miniatures dont les moines du moyen âge enrichissaient leurs manuscrits.

On sait que l'imprimerie a été inventée par Gutenberg à la suite d'essais et de tâtonnements sans nombre, dont les premiers eurent lieu à Strasbourg, vers 1436, et les derniers à Mayence vers 1450. On sait aussi que le premier atelier typographique fut établi dans cette dernière ville par l'inventeur lui-même, et que, à partir de 1461 ou 1462, l'art nouveau se répandit si promptement qu'en une dizaine d'années il se trouva établi dans toutes les contrées de l'Europe.

Les premiers imprimeurs s'appliquèrent à imiter les manuscrits, et ces imitations furent quelquefois si parfaites que certains d'entre eux purent faire passer les ouvrages sortis de leurs presses pour des oeuvres de calligraphie, et les vendre comme telles. Cette supercherie ne cessa réellement que lorsque le caractère romain, créé à Rome, en 1466, par Swenheym et Pannartz, eût été généralement adopté.

C'est à cause de l'usage dont il vient d'être question, que les plus anciens livres imprimés ont leurs caractères en gothique, c'est-à-dire semblables à l'écriture du temps, et qu'en outre ils présentent des vignettes et des encadrements qui se rapprochent plus ou moins des vignettes et des encadrements, des manuscrits véritables, et, pour rendre la ressemblance encore plus frappante, on y faisait souvent exécuter, après l'impression, des enjolivements à la main par les plus habiles calligraphes.

2. - Fers italiens (XVIè siècle)

Fers italiensEmpruntés, comme les précédents, aux monuments de la typographie, plus particulièrement à ceux d'origine italienne. On les appelle aussi aldins, parce que les éditions des Alde, célèbres imprimeurs de Venise, en ont fourni de nombreux motifs. Ils caractérisent également la fin du quinzième siècle et, en outre, le commencement du siècle suivant. Ils furent d'abord pleins ; mais si, tirés en noir dans l'intérieur des livres, ils faisaient un bel effet, on trouva bientôt qu'ils étaient lourds sur la couverture, parce qu'ils donnaient en or des masses trop grandes, et l'on chercha à les rendre plus légers. Leurs contours furent respectés, mais on les allégit en les remplissant de fines hachures. Cette innovation produisit les fers azurés, qui abondent dans les reliures contemporaines de Grolier, dont ils sont une des marques distinctives. A la même époque, d'autres artistes, ne la trouvant pas suffisante, évidèrent complétement les fers, de manière à n'en plus laisser que les contours. Ces nouveaux fers reçurent le nom de fers à filets, et ils partagèrent avec les précédents, la faveur des bibliophiles.

C'est en Italie, à la fin du XVe siècle, c'est-à-dire : dès les premiers développements de l'imprimerie, qu'est née la reliure moderne. Nos bibliophiles en durent la connaissance aux grandes guerres de Charles VIII, Louis XII et François 1er. Jean Grollier, de Lyon, celui d'entre eux qui contribua le plus à en répandre le goût en France, était trésorier des guerres et intendant de l'armée du Milanais à l'époque de ce dernier prince, et il profita de son séjour à Milan pour commencer la formation de sa célèbre bibliothèque.

3. - Fers Fanfare (XVIIè siècle)

Fers FanfareA partir du règne de Henri II, en France, la gravure des fers ne s'inspire plus de l'imprimerie ; elle demande ses motifs aux plus habiles dessinateurs. Alors paraissent les fanfares (moitié supérieure de la planche), fers de petites dimensions dont la combinaison formait des dessins de l'effet le plus heureux, et qui doivent leur nom, tout moderne, à un volume de Charles Nodier, appelé Fanfare, sur lequel Thouvenin avait reproduit un dessin de ce genre.

Au commencement du dix-septième siècle, Legascon, en inventant ou plutôt en généralisant l'emploi des fers pointillés (moitié inférieure de la planche), créa une ornementation d'une élégance infinie malgré la prodigieuse abondance des détails. « Bien qu'il se soit servi d'un canevas ancien, dit excellemment M. Marius, l'aspect de ses reliures est tellement changé, si nouveau par l'invention, ou, pour mieux dire, par l'application des fers pointillés, que Legascon restera pour toujours maître, et un maître qui est à la hauteur de ceux du XVIe siècle. Science solide dans l'ensemble, richesse, élégance, abondance, sans lourdeur dans les détails, il réunit toutes les qualités du décorateur. » Notons, en passant, que c'est Legascon qui a fait le premier usage, sur une grande échelle, des petits fers.

4. - Fers Legascon (XVIIè siècle)

Fers Legascon

5. - Fers à tortillons (XVIIè siècle)

Fers à tortillonsIls caractérisent le dix-septième siècle. C'est également à cette époque que l'usage des riches dentelles a commencé à devenir général.

« Le plus grand mérite de Legascon est d'avoir su garder, au milieu de sa prodigieuse richesse de détails, les savantes qualités d'ensemble des maîtres. Au dix-septième siècle, on procède d'une autre manière : c'est par la répétition des mêmes motifs, dans des positions différentes, que l'on arrive à un ensemble. Les belles reliures auxquelles Du Seuil a donné son nom, ces reliures à filets, soit droits et courbes, avec coins et milieux richement ornés, procèdent de cette manière. A la même époque, les armoiries jouent aussi un grand rôle dans la décoration du livre. On les trouve soit seules, soit accompagnées d'une marque, d'un emblème placé aux angles. Il y eut des bibliothèques dont tous les volumes étaient ornés de cette seule marque de leur propriétaire (M. Marius). »

Nous venons de nommer Du Seuil. Il s'appelait Augustin et était né aux environs de Marseille, vers 1673. Après avoir travaillé chez Philippe Padeloup, dont il épousa la fille, il devint, quelque temps avant 1714, relieur du duc et de la duchesse de Berry.

6. - Fers de la transition, fers mosaïques (XVIIè et XVIIIè siècles)

Fers de la transition, fers mosaïquesIls marquent la fin du dix-septième siècle et le commencement du dix-huitième. L'ornementation est un peu moins élégante qu'à l'époque précédente. Les fleurs, les oiseaux, etc., se montrent au milieu des rinceaux les plus délicats.

Au commencement du dix-huitième siècle, les doreurs procèdent comme ceux du dix-septième ; mais les fers ont déjà subi des transformations importantes par l'introduction, comme il vient d'être dit, de fleurs, d'oiseaux, etc., au milieu de leurs rinceaux. En outre, à mesure qu'on avance, la décadence s'accentue de plus en plus.

Les reliures dites de Padeloup, appartiennent à cette époque ; elles doivent leurs « qualités décoratives plutôt à l'heureux emploi des maroquins de différentes couleurs qu'au mérite du dessin ou de l'exécution. » On compte treize relieurs portant le même nom de Padeloup, et appartenant à la même famille. Le plus ancien, Antoine, était établi bien avant 1650. Celui dont les œuvres sont devenues célèbres, est probablement Antoine-Michel, né en 1685, qui fut nommé relieur du roi en 1733, et qui le devint peut-être aussi de madame de Pompadour ; il mourut en 1758. Jean, un de ses fils, dut continuer les bonnes traditions de son père, car il fut nommé relieur du roi de Portugal.

7. - Fers du XVIIIè siècle

Fers du XVIIIe siecleLa gravure des fers est en pleine décadence. Elle emprunte la plupart de ses motifs aux imprimeries de bas étage et ne produit, sauf de très rares exceptions, que des ornements pâteux et sans caractère. Les reliures de De Rome, qui sont les plus sérieuses de l'époque, n'approchent pas, sous ce rapport, de celles de la période antérieure. Nous allons faire; pour la famille de ces artistes, ce que nous avons fait pour celle des Padeloups.

Il y a eu quatorze De Rome, et non Derome, comme on écrit souvent ce mot, tous relieurs et de la même famille, depuis le milieu du dix-septième siècle jusqu'à la fin du dix-huitième. Quel est le célèbre, celui dont on veut parler quand, dans un Catalogue de vente, un livre est signalé comme relié par De Rome ? On n'en sait positivement rien ; mais on suppose que ce doit être Jacques-Antoine, né vers 1696, et mort le 22 novembre 1761 : il est qualifié, dans son acte mortuaire, de « maître relieur et do- reur de livres, ancien garde de sa communauté. »

8. - Petits fers

On a vu ailleurs ce qu'on entend par là. L'emploi de ces outils minuscules parait remonter au seizième siècle, et c'est en les répétant des milliers de fois sur le plat des livres qu'on exécute ces compositions si gracieuses qui font l'admiration des amateurs. D'après Marius Michel, le doreur le plus renommé de notre époque, l'usage de donner à ce genre le nom de dorure à petits fers, a pris naissance du vivant de Legascon.

Petits fers


Nous arrêterons ici le nombre de nos modèles, ceux que nous donnons nous paraissant suffire pour guider, dans son choix, un ouvrier intelligent. Plus tard, quand nous réimprimerons notre volume, nous compléterons ce travail en offrant au lecteur une collection de reliures entières, plats et dos. Nous en trouverons des originaux, dont elles seront des spécimens fidèles, dans les collections publiques les plus riches et les cabinets particuliers les plus renommés.






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