Manuel Roret du Relieur |
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§ 1. - Dorure sur tranche
La dorure sur tranche se fait de plusieurs manières : 1. Outillage L'outillage du doreur sur tranche comprend les objets suivants : 1° Une presse à dorer ; elle se compose de deux pièces de bois parallèles que l'on éloigne ou rapproche l'une de l'autre, en agissant sur deux grosses vis à main. Tout se fait sur cette presse (fig. 67), depuis les opérations préparatoires jusqu'au brunissage, c'est-à-dire depuis le commencement jusqu'à la fin de la dorure. On la place, perpendiculairement aux vis, sur une caisse ouverte, afin que les parcelles d'or qui se détachent toujours ne puissent pas se perdre ; 2° Plusieurs grattoirs ; chacun de ces instruments consiste en une lame d'acier mince comme un fort ressort de pendule, et qui est arrondie à une extrémité et droite à l'autre. Le côté rond sert pour les gouttières et le côté droit pour les deux bouts. On l'affûte avec un fusil. Quant à sa largeur, elle est en rapport avec celle de la tranche qu'on veut travailler. Aussi, faut-il en avoir de différentes largeurs. 3° Plusieurs brunissoirs d'agate, les uns larges et arrondis, les autres minces et pointus, mais tous parfaitement polis. Les ouvriers les désignent sous le nom de dents de loup, parce que certains d'entre eux ont à peu près la forme d'une dent de loup ; 4° Un coussinet à placer l'or pour le couper ; il est formé d'une planche rectangulaire, d'environ 30 centimètres sur 20, qui est recouverte d'une peau de veau, le côté chair en dehors ; cette peau est bien unie, fortement tendue et matelassée avec du crin fin ou de la laine ; 5° Un couteau à couper l'or ; il a la forme d'un couteau de table non fermant, avec cette différence que le tranchant de la lame doit être sur une seule et même ligne droite ; il a le manche court et la lame longue de 23 à 24. centimètres ; 6° Un compas à coucher l'or ; il diffère du compas, ordinaire en ce que ses deux branches sont pliées de manière à former du même côté, une espèce d'angle très obtus ; 7° Deux boîtes pour contenir, l'une les cahiers d'or, l'autre les fragments qu'on n'a pu employer immédiatement et qui doivent servir plus tard. La première s'ouvre par dessus et par devant, comme les cartons de bureau. La seconde est tapissée intérieurement de papier très satiné, parce que les morceaux d'or ne peuvent s'attacher au poli de ce papier. 2. Dorure sur tranche blanche Le volume étant serré entre deux ais plus épais d'un côté que de l'autre, on prépare la tranche pour recevoir l'or et pour le retenir. Pour cela, on l'encolle avec de la colle de pâte fraîche, qu'on laisse sécher, puis on la gratte avec un grattoir, et on la brunit en frottant en travers avec la dent, jusqu'à complète siccité. On passe ensuite sur la tranche une couche de bol d'Arménie, préalablement dissous dans de l'eau additionnée de blanc d'oeuf, puis on la brosse pour la faire reluire. C'est alors qu'on applique une couche légère de blanc d'oeuf étendu de dix fois son poids d'eau, ce qu'on appelle glairer ; le blanc d'oeuf joue ici le rôle d'assiette et retient l'or, qu'on a soin de poser avant qu'il soit sec. On laisse sécher imparfaitement, puis on fixe l'or au moyen d'un pinceau lisse qu'on promène sur la tranche, sur laquelle on frotte de nouveau avec la dent à brunir. On laisse sécher entièrement, puis on brunit encore une fois sur l'or même. Pour dorer la gouttière, on commence par la rendre bien plate en appuyant sur les mors des deux côtés et en laissant tomber les cartons par derrière, puis on met le volume en presse entre deux ais. Pour appliquer l'or, on le coupe de la largeur du volume à dorer avec un couteau de doreur et on le dépose sur le coussinet ; on enlève ensuite l'or avec un morceau de papier non lissé, ou avec une carte dédoublée. La feuille d'or s'attache au duvet de ce papier, ce qui permet de la transporter facilement sur la tranche où elle se fixe ; on l'étend en soufflant dessus et on l'assujettit avec de l'ouate. On prend aussi quelquefois la feuille d'or avec le compas à longues branches coudées, ou bien avec un de ces pinceaux plats, qu'on nomme palettes. La gouttière dorée, on dore de la même manière la tête et la queue, après avoir fait descendre les cartons au niveau de la tranche. On incline les volumes dans la presse, du côté du dos ; on les serre chacun entre deux ais qui garantissent les mors. On laisse sécher la dorure à la presse (il faut six heures environ), après quoi l'on brunit avec une agate en travers du volume ; ce brunissage doit être fait légèrement et avec précaution pour ne pas enlever l'or, et bien également pour ne pas faire de nuances. Quand le brunissoir a été promené partout, on passe très légèrement sur la tranche un linge très fin et enduit d'un peu de cire vierge, après quoi on brunit de nouveau, mais un peu plus fort. On recommence cette opération plusieurs fois, jusqu'à ce qu'on n'aperçoive aucune onde faite par le brunissoir, et que la tranche soit bien unie et bien claire. Les ébarbures de l'or s'enlèvent avec du coton en rame que l'on jette dans la caisse au-dessus de laquelle se font toutes les opérations de la dorure. Au lieu de procéder comme ci-dessus, d'autres préfèrent opérer de la manière suivante : Après avoir serré le volume dans la presse, on le glaire légèrement et on laisse sécher. On donne ensuite une couche très mince d'une composition obtenue en broyant à sec un mélange de parties égales de bol d'Arménie, de sucre candi et d'une très petite quantité de blanc d'oeuf. Quand cette couche est sèche on gratte et l'on polit, puis, avant d'appliquer l'or, on mouille la tranche avec un peu d'eau pure, et l'on appuie les feuilles d'or comme il a été dit. Enfin, quand celles-ci sont sèches, on polit avec la dent de loup. Dans le système de Mairet, on procède comme il suit : « La première opération de la dorure se fait en rognant le volume, sur la tranche duquel on passe, au pinceau, avant de le sortir de la presse, une bonne couche de décoction safranée. Ce liquide, qu'on emploie tiède, se prépare en faisant bouillir dans un verre d'eau une pincée de safran du Gâtinais ; puis en ajoutant à la décoction retirée du feu, gros comme une noisette d'alun de roche pulvérisé, et un peu moins de crème de tartre. On met cette couleur sur chaque côté du livre à mesure qu'on le rogne, et avant de desserrer la presse, afin que la couleur ne pénètre pas trop profondément, ce qui pourrait tacher les marges. « Quand la tranche est bien sèche, on la serre entre deux ais étroits, dans la presse à endosser, en faisant pencher la gouttière un peu du côté de la queue, et les bouts du côté du dos. Cette précaution est nécessaire pour que la couleur s'écoule de manière à ne rien gâter. Alors on gratte la tranche pour la dresser et l'unir parfaitement, tout en ayant, soin de ne pas la toucher avec les doigts, dans la crainte de la graisser et d'empêcher l'or de tenir. « On s'occupe ensuite d'une autre opération. On pile dans un vase plusieurs oignons blancs, et l'on en exprime le jus dans une grosse toile. Alors, sur la tranche grattée et brunie à l'agate, on donne successivement trois ou quatre couches de jus d'oignon ; on frotte aussitôt fortement, et jusqu'à siccité, avec une poignée de rognures bien douces, ne cessant que lorsque la tranche fait glace partout et présente un beau brillant. « C'est alors qu'elle est prête à recevoir le blanc d'oeuf appelé mixtion pour attacher l'or, et obtenu en battant un blanc d'oeuf dans deux fois son volume d'eau à laquelle on a ajouté huit gouttes d'alcool. Ce mélange doit être battu avec une fourchette de bois jusqu'à consistance d'oeufs à la neige, puis reposé et passé à travers un linge très fin. La liqueur qu'il a produite peut se garder quelques jours, à condition d'être passée à travers un linge chaque fois qu'on veut s'en servir. « Cette mixtion doit être posée une première fois sur la tranche avec un blaireau plat de poils de rat ou de cheveux. Cette première couche sèche, on frotte légèrement avec des rognures douces, puis on souffle afin qu'il ne reste rien de sali. On donne ensuite une seconde couche, de manière à ce que la mixtion fasse glace partout, puis on pose immédiatement l'or avec la carte. On a dû éviter, en appliquant la mixtion, de passer le blaireau plusieurs fois sur la même place, car cela ferait faire des bulles et l'or ne s'attacherait pas sur ces points. « Le brunissage à l'agate a lieu ensuite après siccité complète. On connaît que la tranche est assez sèche quand l'or a pris une teinte uniforme, et brille partout également. On y passe alors à nu, sur toute la surface, le gras de l'avant-bras pour amortir l'or, et faire mieux glisser le brunissoir. On passe l'agate, puis on termine comme précédemment. » 3. Dorure sur tranche après la marbrure On choisit une marbrure dont le dessin soit peu confus et qui ait les couleurs les plus saillantes possible. Le volume étant dans ces conditions, et bien sec, on gratte la tranche et on la brunit ; on y passe ensuite du blanc d'oeuf délayé dans l'eau, et l'on dore comme nous l'avons indiqué, puis l'on brunit en travers. Quand le tout est sec, on aperçoit la marbrure à travers l'or. Cette dorure, fort en vogue autrefois, a été abandonnée depuis ; on y revient de nos jours. La mode la fait reprendre de temps en temps. 4. Dorure sur tranches antiquées Après que la dorure a été faite comme nous l'avons dit dans le premier procédé, et qu'elle est brunie, avant de sortir le volume de la presse, on passe promptement et avec précaution une couche très légère de blanc d'oeuf délayé dans l'eau, en évitant de passer deux fois sur la même place pour ne pas détacher l'or. On laisse sécher, puis on passe un linge fin légèrement imbibé d'huile d'olive. On applique dessus une feuille d'or d'une autre couleur que la première, on pousse à chaud des fers qui représentent divers sujets, et l'on frotte avec du coton en rame. L'or qui n'a pas été touché par le fer chaud ne tient pas, il est enlevé et il ne reste que les dessins que les fers ont imprimés, ce qui produit un très joli effet, mais dont la mode est passée. Les albums photographiques avec tranche bleue, verte, etc., décorée d'ornements en or, se font d'une autre manière. Cette tranche ayant été préparée comme pour la dorure, on la colore en vert avec le vert de Schweinfurt, en bleu avec l'outremer ou le bleu de Prusse, en rouge avec le carmin. Avant d'être appliquées, ces couleurs sont broyées avec du blanc d'oeuf. Quand elles sont sèches, on les polit à la dent de loup, et comme elles portent avec elles leur assiette, on dore alors par place et à chaud avec des fers appropriés, qu'on fait chauffer et qu'on applique sur des feuilles d'or préalablement posées sur la tranche. 5. Dorure sur tranches damassées Les procédés sont les mêmes que pour la dorure sur tranches unies ; seulement on ne brunit pas, et la tranche étant dorée, on la marbre au baquet à deux couleurs : 1° On jette du bleu beaucoup plus collé au fiel que pour les tranches ordinaires ; 2° On emploie le même bleu, mais encore plus collé, et dans lequel on a mis une goutte d'essence de térébenthine. Ces deux couleurs doivent être imperceptibles sur l'or. Quand les trois côtés de la tranche sont marbrés, on laisse sécher et l'on brunit avec les précautions accoutumées. 6. Dorure sur tranches à paysages transparents Lorsque la tranche est préparée comme pour la marbrure, et qu'elle a été bien grattée et bien polie, on y fait peindre à l'aqua-tinta un sujet quelconque, tel qu'un paysage ; cela fait, on y passe une couche de blanc d'oeuf délayé dans l'eau, et l'on dore immédiatement comme à l'ordinaire. Quand le volume est fermé, la dorure couvre le paysage, et on ne le voit pas ; mais lorsqu'on courbe les feuilles, on l'aperçoit facilement et on ne voit pas la dorure. M. Mairet agit différemment. Il omet le safran qu'ordinairement il préfère, gratte bien la tranche, l'enduit plusieurs fois de jus d'oignon, laisse sécher, frotte avec des rognures douces, retire le livre de la presse et le lie fortement entre deux planchettes de même grandeur que le volume, et de telle sorte que la tranche soit à découvert du côté de la gouttière. En cet état, on y dessine à la mine de plomb un sujet quelconque, puis on le peint avec des couleurs liquides, afin qu'il n'y ait pas d'épaisseur. Les encres de couleur, excepté la gomme-gutte, conviennent pour cet usage. 7. Tranches ciselées Les tranches ciselées font aussi partie des travaux de l'art du doreur. Par tranche ciselée, on entend une tranche qui a été dorée, et par-dessus l'or de laquelle on a imprimé ou peint un dessin ou un objet analogue à la matière traitée dans l'ouvrage. Parfois aussi ce sont des arabesques qui s'harmonisent avec le style de la couverture. Le dessin, le sujet ou les arabesques sont découpés en patrons dans des papiers épais taillés exactement de la grandeur de la tranche, et après que cette tranche dorée a été polie, on les imprime en couleur. Si le dessin est peint ou est une vignette, le relieur confie ce travail à un artiste. Toutes ces bizarreries n'ont rien de commun avec l'art de la reliure. 8. Tranches caméléon On connaît aussi, sous le nom de tranche caméléon ou tranche grecque, un mode d'ornementation d'ailleurs peu usité, qui consiste, après que le livre a été rogné et couvert, à l'ouvrir, en rabattant le dos de manière que toutes les feuilles qui forment la tranche se dépassent l'une l'autre, et constituent un escalier à degrés très fins, Alors on met cette tranche en couleur, et lorsque celle-ci est sèche, on renverse le livre sur le plat opposé et l'on opère de même, mais en une autre couleur. Enfin, quand le tout est sec, on ferme le livre à l'état ordinaire; et on dore la tranche ou bien on la peint en une troisième couleur. De cette façon lorsqu'on ouvre le livre, la tranche parait tantôt rouge, tantôt bleue ou dorée, ou mélangée de ces couleurs. On fait aussi de cette manière des tranches où les dessins, les paysages, etc., n'apparaissent que lorsqu'on ouvre le livre. Observations On dore quelquefois les tranches avec de l'or impur ou allié, ou bien on les argente. Dans l'un et l'autre cas, on procède comme avec l'or pur ; seulement l'albumine doit être bien plus épaisse, parce que cet or et cet argent ne pouvant être battus aussi mince que l'or pur, seraient cassants si l'assiette n'avait pas plus de force d'adhérence. |
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