Art de faire le papier |
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Du délissage, ou du choix des chiffons
36. Les chiffons étant bien séchés, passent entre les mains de délisseuses ou guillères. Ce sont des femmes employées à ratisser et à tirer les différentes qualités de chiffons : ce qui s'appelle guiller en Auvergne, et en Angoumois délisser. Elles sont rangées dans une grande salle destinée à ce travail, et pleine de ces vieux linges, assises deux à deux sur des bancs. Elles ont de deux en deux une grande caisse (19), partagée en trois cassots, pour y mettre les trois sortes de chiffons qu'elles doivent distinguer, les fins, les moyens, et les grossiers ou bulles. Les fins sont réservés pour le papier de la première qualité, comme les grossiers servent à faire le papier bulle ou gros venant, qui est la dernière sorte de papier blanc qui se fabrique, dans nos manufactures. Enfin le dernier rebut se nomme le trasse. 37. Chacune de ces délisseuses a un carton enveloppé d'une grosse toile, qui est pendu à sa ceinture et appuyé sur ses genoux (20), sur lequel, avec un long couteau bien aiguisé, elle défait les coutures lorsqu'il y en a, et ratisse toutes les ordures. Tout ce qui peut s'employer après avoir été bien secoué, se distribue dans les trois cassots, suivant le degré de finesse ; et la délisseuse jette le reste à ses pieds. 38. Ceux qui veulent mettre encore plus de soin dans le délissage, font jusqu'à six cases, pour six sortes de chiffons, le superfin, le fin, les coutures de fin, le moyen, les coutures de moyen, et le bulle sans compter les parties extrêmement grosses, qu'on rejette totalement. 39. Ce reste qui ne s'emploie point à la fabrication du papier se nomme en Auvergne boulongeon. Ce sont de mauvaises coutures, ou du frizon, des raclures, des pattes rousses très-grossières, des morceaux de vieilles serpillières, de guêtres, de torchons ou de cordats (c'est la grosse toile d'emballage), des morceaux de laine ou de soie. Tous ces rebuts forment la dernière sorte de chiffon, qui ne doit s'employer qu'à faire les maculatures et les papiers gris dont on enveloppe les rames de papier blanc, les pains de sucre, ou autres choses semblables. 40. Lorsqu'on veut faire du papier gris ou bleu plus mince et plus délié, tel que celui qui forme l'étresse des cartes à jouer, celui qui enveloppe les dentelles, etc., on n'y emploie que des toiles grossières, sans aucun mélange de drap ni de frizon. 41. En Normandie, les chiffons se distinguent seulement en trois sortes, qu'on appelle le fin, le triage, le gros, et qui servent également aux trois sortes de papier dont nous avons parlé. 42. Au reste, l'emploi des délisseuses exigeant de l'attention, du discernement et de l'exactitude, on a soin de n'y placer que des personnes d'un âge mûr ; on ne saurait le confier à des enfans. 43. Il y a des manufactures où l'on n'emploie que deux cassots, d'autres où l'on va jusqu'à quatre. On trouve en effet des fabricans qui prétendent que les précautions dans le délissage ne sont pas d'une grande importance ; d'autres qui sont persuadés que le travail des délisseuses n'est jamais assez exact; qu'il faudrait séparer les ourlets et les coutures, avoir égard à la grosseur de la toile, séparer celle qui est faite d'étoupe de celle qui a été faite de brin, la toile de chanvre d'avec la toile de lin, avoir enfin attention au degré d'usure de la toile. 44. En effet, si l'on mêle ensemble du chiffon presque neuf avec du chiffon très-usé, l'un ne sera pas encore réduit en pâte, que l'autre sera déjà atténué au point d'être emporté par l'eau, et de passer au travers du crin. De là un déchet considérable dans l'ouvrage, une perte réelle pour le fabricant, et même pour la beauté du papier, car les particules déjà emportées par le courant de l'eau sont peut-être celles qui devaient donner au papier le velouté et la douceur qui lui manquent souvent. 45. Ce n'est pas tout ; les fécules dont la ténuité est inégale, produisent des papiers nébuleux, où l'on voit par intervalles des parties plus ou moins claires, plus ou moins faibles, des flocons qui se sont assemblés sur la forme, parce qu'ils n'étaient pas assez délayés pour s'unir avec des parties plus fluides (21). 46. Il faudrait donc piler à parties différentes qualités de toile, les ourlets et les fils de couture, parce que le fil à coudre n'est jamais autant usé que celui de la toile ; il s'affine plus difficilement, et forme des filamens dans le papier. Quand on aurait pilé à part les chiffons inégalement disposés à trituration, on pourrait alors, sans inconvénient, mêler ensemble ces différentes pâtes, qui se trouveraient homogènes, chacune ayant été affinée pendant le tems qui était nécessaire à l'état du chiffon. Sans cette précaution, l'on perdra toujours les particules les plus fines, et l'on verra toujours les plus grossières altérer la belle qualité du papier. 47. Cette grande précaution dans le délissage coûterait beaucoup ; mais il ne faut pas douter qu'elle ne produisît une différence totale dans la beauté du papier, sans nuire à sa bonté. L'on aurait l'avantage de mêler une pâte qui doit faire la force du papier, avec une autre qui doit en faire la douceur et l'éclat ; et l'on réunirait ainsi des qualités qui jusqu'ici existent séparément. Le papier de France est plus blanc, plus fort ; celui de Serdam, plus homogène et plus agréable à la vue. 48. S'il y avait des marchands qui fissent un très-grand commerce de chiffons, ils seraient à portée d'observer ces précautions, et de vendre séparément toutes ces différentes qualités de chiffons. Il en serait de même des gros fabricans qui auraient à cœur la perfection de l'ouvrage. A l'égard des autres, il ne leur est guère possible de faire un si grand choix : ils mettent pour le fin beaucoup de choses qui ne devraient entrer que dans le moyen ; et dans le moyen, ce qui devrait être réservé pour le bulle.
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