Art de faire le papier

 
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Avertissement

1ère partie - Art de faire le papier

§. 8
Art de faire le papier


§. 9 - §. 27
Histoire & origines


§. 28 - §. 68
De la matière au lavoir


§. 69 - §. 199
Des moulins


§. 200 - §. 319
De la matière affinée au collage


§. 320 - §. 351
De l'étendoir au lissoir


§. 352 - §. 380
Tri & formation des rames


§. 381 - §. 385
Du papier coloré


§. 386 - §. 389
De l'influence des saisons


§. 390 - §. 435
Papiers de Hollande & différents pays

  - Observations sur le papier de Hollande
  - Etats des produits d'une papeteries
  - Remarques sur les papiers de différents pays

§. 436 - §. 511
Des réglements qu'on a fait en France


§. 512 - §. 555
Des différentes matières qui pourraient servir à faire du papier


§. 556 - §. 596
Papiers de Chine & du Japon


2ème partie - Planches & Explications des planches

 

 
Remarques sur les papiers de différents pays

416. L'Art de la papeterie ayant été perfectionné en Hollande et en Italie, vers la fin du dernier siècle, nos fabriques n'eurent plus la même consommation, la même exportation qu'auparavant : dès-lors on vit les unes cesser entièrement, les autres se négliger. Il y avait anciennement 400 papeteries en Angoumois et en Périgord, où l'on n'en compte plus que cent aujourd'hui. La perfection a déchu aussi bien que la consommation, mais il est toujours tems de faire des efforts pour y remédier : c'est dans cette vue que nous allons faire quelques observations sur les papiers qui se fabriquent en diverses provinces de France.

417. La province d'Auvergne est, de toutes les provinces de France, celle dont le papier mérite la préférence, soit pour l'écriture, soit pour l'impression. Les deux villes principales où abondent les manufactures de papier, sont Thiers et Ambert, distantes l'une de l'autre de sept lieues. La première l'emporte, dit-on, pour le papier d'écriture, la seconde pour le papier d'impression.

418. La différence que nous faisons ici entre ces deux sortes de papier, ne vient guère que de la colle, qui n'est pas communément aussi parfaite à Ambert qu'à Thiers. De-là vient que le papier d'Ambert s'emploie beaucoup à l'impression, où il n'est pas essentiel d'avoir un papier parfaitement collé, tandis qu'on préfère les fabriques de Thiers pour le beau papier à écrire, qui doit être le mieux collé.

419. Cette différence dans les qualités de la colle, qui produit celle du papier, vient elle-même des eaux dont on est obligé de se servir dans les fabriques. L'eau qu'on emploie à Ambert y tombe immédiatement des montagnes ; elle est plus vive, et plus nette : souvent elle fait le papier plus blanc qu'à Thiers ; mais elle cuit et dissout, ou forme la colle moins bien que l'eau de rivière qui s'emploie à Thiers, et contient plus d'air et de sels.

420. Comme cette circonstance a tourné depuis long-tems les vues des fabricans de Thiers vers le papier d'écriture, celui où l'on est le plus difficile, ils emploient plus de soin dans leurs fabriques ; leurs matières sont mieux choisies, leur papier plus beau est aussi plus cher d'environ 1/2. Les fabricans y sont plus riches : c'est ainsi que leur supériorité s'est accrue et se soutient encore.

421. Les papiers d'Angoumois sont bons pour l'impression, supérieurs mêmes à ceux de Limoges ; mais une grande partie se vend à Bordeaux, d'ou il est exporté en Hollande.

422. Le Languedoc fournit aussi une quantité de papier pour les provinces méridionales de France, et pour le commerce maritime.

423. Il y a plusieurs belles fabriques à Annonai, sur les confins du Vivarais et de l'Auvergne ; on y fabrique le plus beau papier d'écriture, très-blanc, très-mince, très-bien collé ; il se vend plus cher d'environ un quart que celui d'Ambert.

424. Aux environs de Limoges et de S. Léonard qui en est à quatre lieues, on trouve un grand nombre de papeteries qui se sont multipliées surtout depuis dix ou douze ans. Elles appartiennent, pour la plupart, à des particulier qui n'y résident point, et qui en confient l'administration chacun à un maître-valet, qui rend compte au propriétaire de la fabrique. Aussi jusqu'à présent leur commerce ne roule guère que sur le papier d'impression : il est peu collé, moins blanc qu'en Auvergne, et d'une qualité inférieure. Le papier fin du Limousin n'est presque que comme le moyen d'Auvergne, et le moyen de Limoges comme le bulle qui se fait à Ambert : mais le bulle de Limoges ne vient pas à Paris, il se consomme dans les provinces du Limousin et de Guyenne.

425. Il y a en Normandie aux environs de Rouen et de Caen, un assez grand nombre de moulins à papier ; on y fabrique du papier lin pour les besoins de la province ; il s'en répand même un peu au-delà : mais à l'égard du papier bulle servant aux enveloppes de marchandises, la vallée de Rouen en fournit Paris presque en entier, et de toutes les sortes, comme raisin bleu, raisin rouge, dard bleu, Joseph bleu, Joseph fluant, main brune, étresse, papier à bougie, papier à demoiselle, papier à sac, bas à homme, bas à femme, etc. Nous en parlerons à la suite du règlement. On jugera de l'étendue de ce commerce par le nombre des moulins : dans la simple étendue de trois lieues aux environs de Rouen, il y a trente-quatre moulins à papier, et vingt autres dans l'étendue d'environ quinze lieues ; mais les fabricans y sont peu riches pour la plupart, et c'est un très-grand obstacle à la perfection de ces manufactures.

426. Un arrêt du conseil, donné au mois de février 1748 qui établissait sur le papier et sur les cartes des droits considérables, fit tomber plusieurs de ces fabriques de Rouen : les fabricans se dégoûtèrent ; les ouvriers passèrent chez l'étranger : en vain on supprima les droits peu de tems après, la désertion ne pouvait pas se réparer.

427. Nous avons parlé fort au long, de la belle manufacture de Montargis ; elle fut établie il y a environ vingt ans, avec toute la magnificence et tous les soins imaginables. M. Micault d'Harveley fut le principal propriétaire, et M. Duponty le principal conducteur de l'entreprise. M. Camus, de l'Académie royale des Sciences, y donna tous ses soins : elle fut établie de manière à entretenir trente cuves ; mais les eaux du canal de Briare étant les seules qu'on ait pu avoir, il en naît des obstacles, sans lesquels cette manufacture serait peut-être une des plus belles de l'Europe, la disette (l'eau et la qualité de l'eau.

428. Le canal de Montargis, pendant une partie de l'année, n'a pas assez d'eau pour la navigation ; la manufacture n'en peut tirer au-delà d'une certaine quantité qui a été convenue, et la manufacture jouit à peine de cette petite quantité qui pourrait faire aller huit cylindres.

429. A l'égard de la qualité, l'eau y est souvent fangeuse, chargée de limon ; elle produit un papier broqueteux ou graveleux, qualité qui s'aperçoit à l'écriture, quelquefois même à l'impression ; car de petites pierres engagées dans la substance du papier, peuvent percer la feuille lorsqu'on vient à battre des livres dans l'atelier du relieur. Au reste, il y a des tems où cet inconvénient se fait à peine remarquer ; d'ailleurs le papier de Montargis est blanc, fin, bien collé ; et il y a lieu d'espérer qu'on parviendra à clarifier les eaux, de manière à ne laisser absolument rien à désirer pour la qualité supérieure de ce papier (78).

430. On compte en Franche-Comté vingt-sept papeteries, et en tout environ trente cuves, la plupart situées au pied des rochers, où elles reçoivent des eaux vives et claires, et pourraient devenir très-parfaites, par l'exécution plus rigoureuse des réglemens.

431. Il y a vingt-cinq ans que cette province fournissait beaucoup de papiers à la Suisse, au Lyonnais, outre la consommation intérieure de la province ; mais depuis quelques années la perfection et le commerce y ont diminué, plusieurs moulins manquent d'ouvrage, et la Suisse n'est plus obligée de s'y approvisionner.

432. Le canton de Berne et la principauté de Neuchâlel ont élevé quelques papeteries qui réussissent assez bien ; elles ont fait même beaucoup de tort aux fabricans de Pontarlier, qui voient leurs matières premières passer en fraude chez l'étranger, et sont obligés de payer à leurs voisins ce qu'ils fabriquaient eux-mêmes précédemment et avec succès (79). Le canton de Bâle a réussi de même à faire du papier assez estimé pour que les papeteries françaises qui en sont voisines, travaillent sous la marque de Bâle, afin de donner plus de crédit à leurs papiers (80).

433. Les Espagnols possèdent actuellement plus de deux cents moulins à papier, qui en fournissent de très-bons.

434. Autrefois ils vendaient leurs matières aux Génois, pour acheter d'eux ensuite les papiers qui se consommaient en Espagne. On remarqua en 1720, que cette dépense avait été à 500 mille piastres, c'est-à-dire, environ un million et trois quarts de notre monnaie (*). Pour remédier à l'abus, on défendit la sortie des chiffons (**) ; on veilla à faire observer la défense, et l'Espagne est parvenue à secouer en partie le joug de l'industrie étrangère. Cependant la compagnie de Montargis a encore vendu à Cadix du papier façon de Gènes, à très-haut prix.

435. Les Anglais, aussi attentifs qu'aucun autre peuple de l'Europe à se conserver les branches utiles de commerce, ont chez eux grand nombre de papeteries. Nous ne connaissons point le détail de leur exploitation ; mais une preuve de l'attention que le gouvernement y apporte, c'est le règlement par lequel il est défendu d'ensevelir les morts dans de la toile, comme cela se pratique par-tout. L'Angleterre épargne, au moyen de ce règlement, au moins deux cents milliers de chiffons par année ; car de huit millions d'habitans que renferment les îles Britanniques, il en meurt nécessairement toutes les années environ 200.000 ; et chaque sépulture emploierait un drap qui pèserait au moins une livre.



(78) On ne peut nier que l'on prend ici toutes les précautions possibles pour clarifier les eaux. Il serait à souhaiter qu'on sût les imiter dans plusieurs manufactures, où l'on néglige ces petites attentions, d'où dépend la perfection de l'art.
(79) Les papeteries de Franche-Comté fournissent encore du papier à la Suisse et au Lyonnais : mais les derniers droits mis sur le papier d'impression, ont fait un tort considérable à cette branche de commerce. D'ailleurs, il faut convenir que le défaut des fonds nécessaires, empêche les fabricans de donner à leur papiers la supériorité qu'ils pourraient avoir.
(80) Il y a eu dans le canton de Berne, et sur-tout dans la principauté de Neuchâtel, des papeteries qui sont parvenues à un certain degré de perfection. Elles réussiront encore mieux, si l'on y introduit quelques précautions nécessaires pour clarifier l'eau ; et particulièrement l'usage de la machine hollandaise, pour affiner la matière. Les papeteries de Bâle fournissent inconstablement le plus beau papier que nous ayons en Suisse ; mais elles le tiennent à un prix très-haut, parce qu'elles ne peuvent pas suffire aux commissions qui leur viennent de toutes parts. Je ne connais aucun papier de France, qui puisse entrer en comparaison avec celui-là.
(*) La piastre de change à Cadix vaut 3 liv. 15 s. monnaie de France.
(**) Théor. du commerce, ch. 85 et suiv.





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