Art de faire le papier |
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Observations sur le papier de Hollande
390. L'Europe entière tirait de France, il y a environ un siècle, la plus grande et la plus belle partie de son papier ; mais soit que cet Art ait été négligé parmi nous, soit que les Hollandais aient fait des efforts plus heureux que les nôtres, ils sont venus à bout d'en faire le plus grand commerce ; cependant il n'y en avait presque pas de fabriques chez eux au commencement du siècle. Nous voyons qu'en 1723, ils s'approvisionnaient en France par les ports de Saint-Malo, de Nantes, de Bordeaux et de la Rochelle(*) ; et ils en tirent encore beaucoup de ce royaume, soit pour leur consommation particulière, soit comme facteurs de presque toute l'Europe. 391. La beauté des papiers fins de Hollande, et peut-être leur cherté ont fait toujours désirer aux Français de pouvoir les imiter. Les uns ont cru que les matières premières en faisaient toute la différence ; d'autres, au contraire, sachant que les Hollandais tiraient beaucoup de chiffons de la France pour l'employer à leur papier, ont jugé que la manière de le fabriquer suffisait seule pour lui donner toutes les qualités que nous lui connaissons. Il nous paraît cependant très-clair qu'il faut le concours de l'un et de l'autre, savoir, la plus grande attention dans le délissage, et la plus grande perfection dans le travail du moulin et de la cuve, pour produire le beau papier, peut-être encore le laminoir dont nous avons parlé §. 349. 392. Si le papier fin de Hollande passe pour être plus beau que celui de France, il n'est assurément pas aussi bon : il se coupe lorsqu'on le plie, il se déchire lorsqu'on le roule. Il ne peut soutenir l'impression ; les caractères le percent, sur-tout quand ils sont neufs et aigus. Il ne peut soulenir la reliûre ; les opérations de la dent de loup suffisent pour l'endommager. 393. Le papier de Hollande a un oeil plus doux, plus fin, plus uni, plus transparent ; cela vient de la matière qui le compose, savoir, comme nous l'avons dit, des chiffons de belle toile de lin, mieux triés et sans mélange. La belle toile est si rare dans les provinces de France, que sur cent milliers de chiffons, il s'en trouve à peine quatre ou cinq de superfin. 394. Le papier des Hollandais est plus épais, mieux fourni que le nôtre, parce que les châssis des formes sont plus élevés, qu'ils mettent beaucoup plus d'eau dans leur pâte, et promènent moins. Cette épaisseur leur est nécessaire, à cause du peu de ténacité qui reste à leur pâte, lorsqu'elle a été excessivement broyée ; car les cylindres broyent et allénuent bien plus que les maillets. 395. On opère en Hollande avec plus de lenteur, plus de soin, plus de précautions. L'opulence des fabricans, la frugalité des habilans la médiocrité de l'intérêt de l'argent, tout cela forme autant de raisons qui doivent rendre leurs manufactures plus parfaites que les nôtres. 396. Les Hollandais sont extrêmement jaloux des moindres avantages de leurs manufactures ; ils défendent, sous peine de la vie, la sortie des formes qui servent à faire le papier, et qui se fabriquent chez eux. 397. Il n'est pas difficile de juger, en voyant le papier de Hollande, que dans ce pays-là les cadres ou couvertes des formes ont plus d'épaisseur que chez nous : il y faut par conséquent plus de tems pour égoutter le papier ; et peut-étre qu'un ouvrier n'y fait que trois ou quatre rames de papier par jour, au lieu de huit que nous faisons en France. Au reste, ce que nous avons dit en parlant des qualités du papier de Hollande, doit s'entendre seulement de ceux qu'ils donnent pour superfins, tels que les papiers marqués grand cornet, pro-patria, armes-de-Bretagne, armes-de-Venise ; car il s'en fait en Hollande, de toute espèce : plusieurs sont beaucoup au-dessous de nos papiers d'Auvergne en pâte fine, tels que la couronne fine double, l'écu fin double, la tellière, la romaine, le petit raisin, le griffon fin double, qui se font à Thiers, à Ambert, à Tance, à Annonai. 398. Il y a aussi, dans les beaux papiers de Hollande, un certain velouté agréable à la vue, qui vient de ce que les matières y sont moins lavées, quoique broyées plus long-tems. Les Hollandais, n'aspirant pas à cette blancheur de neige que nous cherchons en France, n'ont pas besoin de laver, c'est-à-dire, de renouveler l'eau en laissant le chapiteau ouvert pendant un si long tems ; car c'est là ce qui augmente la blancheur. Dès-lors ils perdent moins de cette matière fine, cotonneuse et veloutée, qui rend le papier moëlleux, et que l'eau entraîne à mesure qu'elle se forme, se détache et se divise. 399. D'un autre côté, le papier de Hollande se coupe, et ne peut supporter l'impression aussi bien que le nôtre. Cela vient peut-être aussi delà qualité des eaux saumâtres de Serdam, où sont situées les papeteries hollandaises. 400. Le sel donne une certaine dureté aux parties du chiffon, qui étant d'ailleurs beaucoup plus broyées que chez nous, et conservant moins de liaison entr'elles, produisent cette facilité à se déchirer. 401. C'est par la même raison que le papier de Serdam ne pouvait pas Conserver sa blancheur : il devenait jaune en peu de tems. Pour déguiser ce défaut, les Hollandais ont imaginé de mettre du bleu dans leurs matières, et l'on voit actuellement plus que jamais cet oeil bleuâtre dans leurs papiers : ce n'est pas seulement un blanc de lait comme autrefois, c'est un blanc azuré, ou plutôt un bleu pâle. 402. C'est vers la fin de l'affinage qu'on peut verser dans la cuve à cylindre cette matière colorante, après avoir fermé les issues de l'eau ; mais l'opération de cette couleur est fort délicate : il faut que la teinture ait été très-clarifiée, filtrée, reposée, et qu'il n'y reste absolument aucune molécule qui puisse s'apercevoir sur le papier. Quelques expériences qu'on a faites en France sur cette manière de colorer le papier, ont fait voir qu'il n'était point aisé de distribuer parfaitement et uniformément la liqueur colorée dans toute la substance du papier. 403. Les Hollandais ne trouvent peut-être pas chez eux la dixième partie du chiffon qui s'y travaille. Celui qu'ils tirent de France, leur revient à plus de 38 liv. le quintal, monnaie de France, à moins qu'il ne passe en contrebande ; et puisqu'il ne vaut en France que huit à neuf livres, il est évident que la France pourrait avec avantage retirer à elle cette branche de commerce, si l'émulation et la persévérance des particuliers pouvait une fois concourir, avec les soins du gouvernement, pour la réforme de nos manufactures. C'est pour y contribuer autant qu'il dépendait de nous, que nous nous sommes étendus sur les différences et sur les qualités des papiers de France et de Hollande.
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