Art de faire le papier |
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Cuve de l'ouvrier
238. Le nom d'ouvrier (*) semble avoir été donné par préférence au plongeur, qui forme immédiatement la feuille de papier, comme étant chargé de la principale opération de l'Art. C'est celle que nous allons décrire. 239. Quand la pâte a reçu sa dernière façon, soit dans la pile de l'ouvrier, soit sous les cylindres affineurs ou sous les cylindres affleurans, elle n'est plus que comme de la bouillie, sans aucune consistance. Un des ouvriers, qu'on nomme leveur, et dont nous parlerons plus amplement §. 253, la tire de cette pile avec une petite bassine de cuivre, et en remplit une auge de pierre qui est à portée de la cuve où travaille l'ouvrier (63). C'est ainsi que cela se pratique en certains endroits. En Auvergne, on se sert d'une petite gerle de bois d'environ vingt-cinq pouces de long sur dix-huit de profondeur, qui se mène sur une brouette ; avec cette brouette qu'on appelle ailleurs l'ambalard, le leveur transporte directement la pâte dans la cuve où se puise le papier ; là, aidé de l'ouvrier, il décharge sa gerle dans cette cuve, ou bien se sert d'une bachole ou casserole de cuivre pour l'y verser. L'ouvrier ajoute la quantité d'eau qu'il juge nécessaire, suivant la force du papier qu'il est question de faire ; car le papier qui doit être fort et grand, demande une pâte plus épaisse, et une moindre quantité d'eau ; un papier mince et léger, comme papier serpente, papier fleuret, cornel de Bretagne, suppose une pâte qui ait été moins pourrie, et l'on y met beaucoup plus d'eau. On remue cette pâte avec une fourche de bois, pour la bien mêler et délayer avec l'eau. Dans cet état, la pâte ne paraît plus que comme du petit lait, ou de l'eau un peu trouble. Les ouvriers connaissent à la couleur de cette eau combien devra peser le papier qui en résultera. 240. Le travail de l'ouvrier est représenté dans la planche VIII. On y voit la cuve O, qui est ordinairement de bois de sapin, cerclée de fer ; sa partie supérieure est environnée d'une espèce de table N, appelée le tour de cuve (64), dans laquelle est une large échancrure, où se place l'ouvrier monte sur un gradin, de manière à être placé commodément tout près de la cuve, et pouvoir aisément plonger ou retirer ses formes. Il est jusques à la ceinture dans une espèce de niche qu'on appelle quelquefois la nageoire (65). Près de la nageoire est un morceau de bois appelé rossignol, sur lequel appuie une planchette qui traverse la cuve. 241. Pour entretenir une chaleur douce dans la cuve de l'ouvrier, on se sert d'une pièce nommée pistolet (66), marquée P (fig. 2). C'est un tuyau de cuivre, qui s'insinue dans l'intérieur de la cuve par une ouverture B, à laquelle on a soin de luter exactement le pistolet, afin que la matière n'ait pas d'écoulement : il est partagé en deux par une grille horisontale, sur laquelle on met des charbons allumés. Le pistolet est quelquefois cylindrique, quelquefois il a la forme d'une vessie ; on voit dans la figure 2 en P et en B, la forme de l'un et de l'autre. En Angoumois, on échauffe un peu différemment la cuve de l'ouvrier. Cette cuve est placée derrière un four assez semblable à ceux où l'on cuit du pain ; la gueule de ce four est établie au fond d'une cheminée qui est de l'autre côté de la muraille : au fond de ce four est ajusté cette espèce de tuyau aveugle de cuivre, de la forme d'une vessie, comme on le voit en B. La chaleur du four échauffe l'air contenu dans ce pistolet ; et le cuivre qui y participe, communique sa chaleur à l'eau de la cuve, sans le secours des charbons, dont on se sert en Auvergne. 242. Lorsqu'on échauffe le pistolet avec des charbons, comme nous l'avons dit ci-dessus, il faut que la cuve soit tournée de manière que le pistolet s'ouvrant près d'une cheminée, la fumée puisse en enfiler le tuyau, afin que sa vapeur n'altère pas le papier. Le pistolet a communément vingt pouces de longueur, dix pouces d'ouverture à son entrée, et quatorze pouces de largeur dans le fond ; il est entouré d'un linge qu'on appelle le fourreau du pistolet, afin que la crasse du cuivre ne puisse point tacher la pâte du papier. 243. On entretient ainsi la cuve dans une chaleur à y pouvoir tenir la main pendant tout le tems qu'on y travaille ; il me semble que c'est afin que l'eau ait plus de disposition à s'évaporer, et à quitter les particules solides, qui doivent s'unir et se dessécher presque en un moment. On a fait quelquefois du papier dans l'eau froide : mais il fallait plus de tems ; le papier était plus lâche, et ses parties moins adhérentes entre elles : aussi les ouvriers ne négligent point cette précaution, et ils se lèvent quelquefois pendant la nuit pour aller préparer leur pistolet, afin de trouver le matin leur cuve suffisamment échauffée. Si la matière est verte, mal pourrie et mal battue, il faut échauffer moins la cuve ; car la fécule se sécherait trop tôt, étant moins dissoute dans le fluide (67). 244. Il faut avoir soin de brasser la cuve plusieurs fois dans la journée, principalement autour du pistolet ; la pâte qui s'y dépose et s'y accumule pourrait nuire beaucoup à l'égalité du papier. Le bâton dont on se sert pour brasser et agiter cette pâte, est en forme de fourche, dont les deux branches sont jointes par une petite corde qui sert à ratisser le pistolet, pour en détacher la fécule qui s'y dépose. En voyant la pâte délayée dans la cuve de l'ouvrier, on croirait que les fibres ligneuses sont décomposées, écrasées, pourries ; néanmoins il leur reste, encore une longueur, une consistance nécessaire pour s'entrelacer, et s'unir par le moyen de l'eau. Cette disposition à s'unir se perdrait par une plus longue trituration ; car, comme nous l'avons dit, l'eau qui, après avoir lavé les chiffons, s'écoule de la cuve, emporte avec elle une partie de leur substance ; on l'aperçoit clairement : mais, cette partie trop divisée n'a jamais pu être employée ; on a beau là rassembler, la faire déposer, elle ne ressemble qu'à une bouillie qui ne prend point de liaison.
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