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Appellation « papier pur chiffon »
Rappel historique.
De la deuxième moitié du XIIIème siècle, jusqu'à la fin de la première moitié du XIXème siècle, dans la continuité des papiers Arabo-Andalous, le papier Occidental est fabriqué à partir de vieux chiffons. Ces chiffons sont principalement constitués de linges usés tissés de lin et de chanvre. On peut y ajouter des filets de pêche, des voiles de bateaux, divers cordages. Il n'est pas rare de trouver dans des papiers considérés comme médiocres, d'importantes traces de laines colorées (c'est pour cela qu'on les repères facilement) de la paille, et des traces de coton. À partir de la révolution industrielle, on voit apparaître des proportions de plus en plus importantes de coton, au fur et à mesure que les cotonnades anglaises puis celles du nord de la France commencent à se retrouver dans les circuits de récupération.
Parallèlement, le coton se teintant assez facilement alors que le lin et le chanvre ne l'étaient jamais, on trouve de plus en plus de tissus colorés. Les techniques de blanchiment par oxydation à l'hypochlorite de soude (eau de Javel) se développent donc. (Les premières rousseurs vont apparaître dans de beaux papiers blancs). Dès 1860 et de plus en plus rapidement de nouvelles matières premières vont s'imposer et la part de chiffons dans le papier va considérablement diminuer jusqu'à disparaître complètement des papiers ordinaires. Le chiffon sera de plus en plus réservé à la production de papiers spéciaux, soit qu'ils aient besoin de fibres très résistantes ou très pures chimiquement et qu'il soit impossible techniquement de les produire autrement, (papiers à cigarettes, papiers filtres, papiers de condensateurs joints très solides, papiers fiduciers) soit qu'il s'agisse de papiers de luxe destinés aux arts graphiques. En même temps que la part de chiffon diminue, jusqu'à devenir quasiment insignifiante, la proportion de coton dans ces chiffons augmente jusqu'à devenir après les années 20 largement majoritaire. Mais tout cela c'est de l'histoire ancienne. Des années soixante, le chiffon, devenu difficile à trier à cause des synthétiques, introuvable quand il s'agit de lin et de chanvre, a été remplacé, quand on ne pouvait pas faire autrement pour les raisons évoquées ci-dessus, par des matériaux bruts : filasses et étoupes de lin et de chanvre, linters de coton (fibres trop courtes pour être filées), pâtes de « mussa textilis » ou chanvre de manille (petit bananier cultivé uniquement pour ses fibres). Si le chiffon à disparu, curieusement, l'appellation est restée. C'est que ce « pur chiffon » est, pensez donc, un gage de qualité, de naturel, de conservation, donc un atout commercial de taille. Regardez comme les papiers anciens se sont bien conservés (surtout ce que l'on a gardés). Cet abus de langage est doublement scandaleux. D'une part, les papiers purs chiffons des catalogues n'en contiennent pas un gramme et d'autre part, dans la grande majorité des cas, les linters de coton qui entrent dans leur composition côtoient des pâtes de bois dans des proportions qu'aucun fabricant ne voudra révéler, secrets de fabrication oblige. Je suis le premier à dire que la fibre provenant des arbres n'est pas plus mauvaise qu'une autre : c'est de la cellulose et après tout les Chinois ont bien inventé les pâtes chimiques de bois pendant la deuxième moitié du premier millénaire il y a presque 1400 ans. Ce n'est pas l'origine de la matière qui compte mais son état au moment où on la transforme en papier ainsi que les traitements qu'elle a subi avant de se retrouver sous forme de feuille. L'appellation « pur chiffon » est réservée aux papiers faits avec des chiffons de coton. En effet, dans le courant du XXème siècle est apparue l'expression « pur fil » pour distinguer les papiers faits exclusivement de chiffons de lin et de chanvre de ceux contenant du coton. Les papiers fabriqués à partir de lin, de chanvre et de linters de coton devraient porter le nom de leurs matériaux de fabrication. On me dira que c'est bien tiré par les cheveux, que du lin c'est du lin du chanvre du chanvre et le coton tout pareil. Mais c'est qu'il y a une énorme différence et qu'il faut ne pas être papetier pour ne pas la voir ! Qu'on arrive par un savant mélange de cotons fragiles et de lins très dur à reproduire l'aspect esthétique d'un papier XVIIIème, on en aura pas moins fabriqué un papier contenant au moins 60% d'un matériau qui n'était jamais employé avant le XIXème et qui n'a absolument pas les mêmes réactions à son environnement, que le lin et le chanvre. Il n'aura jamais les qualités du papier qu'il imite. En effet, ce qui fait la spécificité des papiers faits de chiffons, c'est l'usure qu'a subi la matière première au long d'un siècle de manipulation et de lessivages répétés. C'est grosso modo le temps qui s'écoulait entre le moment ou un tissus était mis en service et celui ou il était jeté. Rien de moins naturel que ces bouts de tissus salis par la sueur les graisses les sanies, cuites et recuites dans les lessis alcalin des dizaines et des dizaines de fois, battus et rincés aux lavoirs, avant de finir dans la hotte ou la poussette du chiffonnier et d'être réduites en pâtes. Ce sont tous ces avatars et le savoir faire du maître papetier qui ont donné à ces papiers leur inégalable qualité à la fois de souplesse et de rigidité, de solidité et de moelleux qui caractérisent la grande majorité des papiers antérieurs à la révolution industrielle. Les appellations mensongères d'aujourd’hui ne trompent que des consommateurs que l'on maintient dans l'ignorance et qui se laissent abuser par les mots. Aujourd'hui, à ma connaissance, il n'existe en Occident aucun papier industriel commercialisé répondant à l'appellation « pur chiffon » Sans doute trois ou quatre papiers artisanaux et un papier à la forme ronde peuvent parfois prétendre à l'appellation « chiffon » et un seul mérite l'appellation « pur fil » . Je ne sais si c'est rassurant, mais le problème est le même avec les papiers Japonais qui n'ont de Japonais que leur nom et leur origine. Il y a beau temps que les fabricants ont compris qu'ils pouvaient « fourguer » aux ignorants n'importe quelle camelote, sous l'appellation Japon. Pourvu que ce soit lisse souple brillant avec des fibres longues … J'ai même vu un marchand de la place de Paris proposer du « Japon Synthétique » espèce de non tissé que l'on trouve à 40 ou 50 Euros les 100 mètres chez n'importe quel fabricant. Jacques Bréjoux
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